El resurgimiento católico en la literatura europea moderna (1890-1945)

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«Catholicisme et Nationalisme» (Rivière)

Juventudes de Action française en la fiesta de Juana de Arco, en 1934

Juventudes de Action Française en la fiesta de Juana de Arco, en 1934

 

Jacques Rivière: «Catholicisme et Nationalisme» (1919)

(Nouvelle Revue Française, nº 74, noviembre de 1919, pp. 965-968)

 

En quelque tentation que m’induisent mes amis Schlumberger et Ghéon d’ajouter à ma pensée de nouvelles précisions, quelque envie que j’éprouve spontanément de poursuivre la mise au point de la délicate question sur laquelle nous voici, eux et moi, j’en ai peur, en état d’irrémédiable divergence, je crois qu’il est plus raisonnable d’arrêter ici un débat, que seule, après tout, l’expérience, et une expérience qui est encore à venir, pourra trancher. Seules les prochaines années pourront nous montrer si la France avait ou non besoin de cette cuirasse intellectuelle dont le Parti de l’Intelligence veut la maintenir armée. En attendant, l’essentiel est de bien travailler, chacun avec les idées qu’il a. C’est ce que nous sommes d’accord les uns et les autres pour nous imposer comme première loi.

Je ne demande donc plus la parole que pour une observation secondaire. Lorsque Jean Schlumberger a écrit : « Si j’étais catholique, j’aurais signé le manifeste du Parti de l’Intelligence », je vois bien ce qu’il y avait dans sa pensée. Il voulait dire évidemment que seule lui interdisait, à lui protestant, l’accès du Parti de l’Intelligence, l’obligation qu’on lui faisait de reconnaître la suprématie de l’Église catholique et de la considérer comme un facteur de la renaissance nationale. Mais il n’a pas songé que sa phrase du même coup semblait faire à tout catholique un devoir d’adhérer au Parti de l’Intelligence.

Ce devoir, je ne puis l’admettre. Entre les deux termes que Jean Schlumberger met en rapport, je ne réussis pas à sur- prendre la moindre dépendance, le moindre enchaînement. Car enfin nous n’avons besoin ni les uns ni les autres de faire plus longtemps comme si nous ignorions que le Parti de l’Intelligence c’est à peu de chose près, c’est, camouflée pour la circonstance, l’éternelle Action Française. Or quel lien peut-il bien y avoir entre le catholicisme et l’Action Française ? Quoi, dans le premier, peut bien inciter à se rallier à la seconde? Je demande qu’on me cite l’article de la doctrine catholique qui logiquement engendre le «nationalisme intégral».

Il ne s’agit pas de ce qui se passe en fait. Je sais très bien que beaucoup de catholiques sont enrôlés sous les bannières de l’Action Française. Mais je prétends qu’ils n’ont pas pu trouver dans leur foi le motif qui les a poussés à s’y embrigader.

Et comment l’y eussent-ils découvert, alors que de toute évidence l’Action Française poursuit la besogne la plus nette- ment anticatholique qui se puisse rêver ? Il n’est même pas besoin de rappeler que Maurras est un incroyant, ni de relever une fois de plus ses multiples déclarations sinon d’athéisme, tout au moins de positivisme radical. Il suffit de regarder son œuvre, l’influence qu’il exerce sur les esprits : il faut être aveugle pour ne pas voir qu’il tend à y stériliser toute disposition, tout sentiment chrétiens.

D’abord en substituant le culte de la Patrie au culte de Dieu, en confisquant tout ce qu’il peut y avoir dans les âmes d’instinct religieux et de capacité d’adoration au profit de la Patrie. Le nationalisme tel qu’il l’enseigne devient une véritable idolâtrie. Il consiste à aimer et à servir la France, non pas pour tous les biens qui sont en elle, mais comme l’unique Bien qui se puisse concevoir, comme le véritable Absolu. Si Maurras combat avec tant d’acharnement toute métaphysique, s’il a si tôt fait de ridiculiser toute croyance aux réalités invisibles, c’est bien moins par conviction positiviste profonde que pour empêcher que rien ne s’installe au delà de la Patrie, que pour assurer ses derrières et pour la maintenir comme le Suprême Objet dont nous ayons à noua inquiéter.

Rien de moins catholique, rien de plus païen, rien de plus sauvage qu’une telle doctrine. Car que peut bien devenir Dieu dans cette affaire ? Quelle place lui réserve-t-on ? Dans quels combles est-il relégué ? Comme il serait impoli- tique de le supprimer, sans doute lui réserve-t-on le rôle d’une sorte de président honoraire. Mais on lui mesure sévèrement l’hommage. S’il tient à en recueillir quand même quelques bribes, il faut qu’il vienne s’identifier avec la Patrie, il faut qu’il déclare « la protéger » tout spécialement, il faut qu’il se fasse son patron et qu’il entre dans une combinaison qui est le pendant exact de celle où les pangermanistes avaient voulu l’emprisonner. Un chrétien ne peut pas admettre cette comédie et ne peut la ressentir que comme une moquerie de sa foi.

Anticatholique, l’Action Française l’est encore par son refus de tenir compte, en aucune circonstance, de ce que la grandeur du Pays peut impliquer comme souffrance pour les individus et de ce que la puissance en général représente comme douleur au monde.

Je ne suis pas de tempérament sentimental : rien ne m’ennuie comme de m’apitoyer. Aucune littérature ne m’est plus fastidieuse que celle où la fraternité humaine et l’entre-embrassement des peuples nous sont platement prêches.

Mais enfin j’avoue que le mal des autres, fût-ce celui de mes ennemis, me « fait tout de même quelque chose » et que spontanément je le souhaite évité. C’est dans cette mesure que je me sens chrétien, que je me trouve catholique. Et je constate que c’est dans cette mesure également que l’Action Française m’est insupportable. Son continuel appel à la violence, son souci de réveiller, de raviver, d’envenimer le plus possible tout ce que les hommes éprouvent entre eux d’oppositions et d’inimitiés naturelles, son dessein à satiété proclamé d’entretenir éternellement le désordre et la misère chez ceux qui nous ont une fois voulu du mal, ne sont-ils pas un effort direct contre l’enseignement du Christ et ne tendent- ils pas à détruire le peu qui subsiste encore au monde justement de « catholicité » ?

On peut très bien, sans être internationaliste, ne pas tout de même désirer que les haines actuelles prennent un caractère invétéré. Si l’on est catholique, on doit souhaiter, même si l’on n’ose l’espérer, leur progressive résorption et la reconstitution d’un lien universel. Et donc, si l’on est catholique, loin d’adhérer à l’Action Française, loin de se laisser séduire aux masques plus ou moins adroits qu’elle s’amuse à prendre, on doit lui opposer une complète, une tranquille résistance de toute l’âme, on doit revendiquer contre elle le droit de conserver quelque amour pour son prochain et pour Dieu, le droit de maintenir entre les divers attachements dont on se sent capable la subordination qui est entre leurs objets, le droit de ne pas concevoir le patriotisme comme exclusif de tout sentiment religieux et humain.


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