El resurgimiento católico en la literatura europea moderna (1890-1945)

Inicio » Hacia un nuevo catolicismo » La santidad del pueblo, según Péguy

La santidad del pueblo, según Péguy

Charles Péguy en 1913

Charles Péguy en su tienda de Cahiers de la Quinzaine, en 1913

 

Charles Péguy: «Un nouveau théologien, M. Fernand Laudet» (1911)

(Cahiers de la Quinzaine, 24 de septiembre de 1911. En Péguy: Œuvres en prose, 1909-1914. París: Gallimard, 1957, pp. 845-1023. Fragmentos)

 

Pour nous chrétiens, disons-le hautement, le surnaturel et la sainteté, c’est cela qui est l’histoire, la seule histoire peut-être qui nous intéresse, la seule histoire profonde et profondément réelle et nous accorderions plutôt que c’est tout le reste qui serait de la légende. […]

Il ne peut point pardonner à M. Péguy ce christianisme peuple, directement sorti du peuple. Il aimerait mieux un christianisme plus élégant. Distingué. […]

… les vies, les souffrances, les épreuves, les exercices, les travaux, les Vertus, les grâces, les mérites, les prières de ces innombrables saints, des innombrables saints obscurs. […]

En résumé, et pour nous en tenir à l’extension comme géographique de la sainteté, M. Laudet nie la communion des saints, la participation, la commune participation, il nie les réversibilités, il nie tout le glorieux (et si souvent obscur) appareil de la sainteté. […]

M. Laudet […] paraît ignorer en effet qu’à ne considérer encore que l’extension pour ainsi dire géographique de la sainteté il y a eu et il y a des milliers et des milliers, des centaines de milliers de chrétiens, – de saints, – des chrétiens innombrables, – des saints innombrables, – qui ont gagné le ciel les yeux fixés uniquement sur ces longues années d’ombre épaisse qui selon M. Laudetne nous appartiennent pas. […]

M. Lauet paraît ignorer que des milliers et des milliers, que des centaines de milliers d’ouvriers chrétiens ont vécu les yeux uniquement fixés sur l’atelier de Nazareth, que des chrétiens innombrables ont vécu, sont morts, ont gagné le ciel, ont fait leur salut les yeux uniquement fixés sur l’atelier de Nazareth ; que tout atelier chrétien est une image de l’atelier de Nazareth ; que ces ouvriers, que es pauvres, que ces misérables ne peuplent pas seulement le ciel ; qu’on ne voit qu’eux, dans le ciel ; qu’il n’y en a que pour eux ; que le ciel est plein de ces petites gens ; qu’on voit dans le ciel infiniment plus de ces petites gens que de directeurs de revue. […]

Que de même que tout atelier chrétien est une image de l’atelier de Nazareth de même toute famille chrétienne est une image de la famille de Nazareth ; que de même que tout ouvrier chrétien travaille comme Jésus de même tout ouvrier chrétien, tout mère chrétienne aime, instruit, nourrit, élève ses enfants comme Joseph et Marie aimaient, instruisaient, nourrissaient, élevaient Jésus, tout fils chrétien aime, honore, nourrit ses parents comme Jésus aimait, honorait, nourrissait son père et sa mère. […]

qu’un pauvre homme dans son lit, que le dernier des malades peut au regard de Dieu, (et la chrétienté tout entière l’ignorant jusqu’au Jugement), mériter secrètement plus que le plus glorieux des saints. Faut-il renvoyer M. Laudet à la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies. […]

Jésus endossant pour ainsi dire cette loi et la loi d’humilité en a fait une redevance d’amour. Ainsi est des centaines de milliers d’ateliers chrétiens n’ont plus été, ne sont plus que des imitations de l’atelier de Nazareth. L’homme aujourd’hui, telle est la loi nouvelle, tel est le statut nouveau, l’homme aujourd’hui qui travaille n’est plus un forçat qui fait son temps. L’homme aujourd’hui qui travaille est un homme qui fait comme Jésus, qui imite Jésus. Le travail quotidien n’est plus que premièrement une peine. Il est aujourd’hui une imitation d’un auguste travail quotidien. L’homme qui fait sa journée est bon. […]

Si M. Laudet avait quelque idée, quelque connaissance de ce que c’est qu’un christianisme et plus profondément de ce que c’est que le tissu de la chrétienté même il saurait que la famille chrétienne, qui fait le tissu même, est étroitement imitée de la famille de Nazareth. […]

Les enfants son littéralement à l’école du petit Jésus. […]

Si la vie privée de Jésus ne nous appartient pas, monsieur Laudet, qu’est-ce que ces admirables textes viennent faire dans les Évangiles. […]

Venant ainsi, conduits ainsi non plus seulement à la simple extension et à la géographie mais à la profondeur et à ce que nous nous sommes permis de nommer la géologie de la sainteté la relation du public au privé dans la sainteté, en matière de sainteté, nous paraîtra être la suivante : que en sainteté, en matière de sainteté c’est le privé qui porte le public et que le public est tout soutenu, tout nourri du privé. En sainteté, en matière de sainteté le public plonge dans le privé, les vertus publiques se soutiennent littéralement, se nourrissent, se recrutent des vertus privées. En matière de sainteté le public vient du privé. […]

La partie publique de la vie ont toujours été considérées par les saints qui en ont eu littéralement comme des missions, comme des envois, comme des départs, d’où ils ne demandaient qu’à revenir. […]

Les saints chrétiens, les saints publics étaient éminemment des hommes, des saints, des appelés, vocati, qui pour se garantir dans l’extrême danger de missions extraordinaires y portaient d’abord, commençaient par y transporter les vertus ordinaires, usuelles, les vertus de tous les jours, familières, les vertus à la main, virtutes manu factas. […]

Un saint n’était saint que si le tissu même de sa vie était sainte, que si sa vie quotidienne était sainte, que si sa vie privée était sainteté. […]

Nous ne voulons qu’une grande histoire ait de la grandeur, et même qu’elle soit authentique, une histoire de mémoire, une histoire publique, une histoire d’État, une histoire d’histoire, que si nous sentons, que si nous savons qu’elle provient directement du peuple. […] Nous voulons qu’une grande histoire soit nourrie directement du peuple. […] Nous voulons toucher le fond, le rude ; le réel. Et nous avons l’impression de ne toucher le fond que quand nous touchons le peuple. […]

Le peuple seul garantit le héros. Le peuple seul garantit le saint. Le peuple seul est assez terre. […]

L’espérance ne peut jouer que dans un minimum de charité. L’espérance, la lueur d’espérance ne peut s’allumer que d’un certain feu. De l’athéisme réactionnaire, de l’athéisme bourgeois on ne peut rien attendre, que cendre et que poussière, parce que tout n’y est que mort et que cendre. C’est un athéisme sans espoir. […]

Vae tepidis ; malheur aux tièdes. Honte au honteux. Malheur et honte à celui qui a honte. […] Il s’agit de savoir quelle est la source profonde de l’incréance, quelles sont les profondeurs de ces manques, d’où viennent, d’où remontent ces incrédulités. Or nulle source n’est aussi honteuse que la honte. Et la peur. Et de toutes le peurs la plus honteuse est certainement la peur du ridicule, d’être ridicule, de paraître ridicule, la peur de passer pour un imbécile. On peut croire ou ne pas croire (enfin nous nous entendons ici). Mais honte à celui qui renierait son Dieu pour ne point faire sourire les gens d’esprit. […]

Si vous retranchez du christianisme, monsieur Laudet, de la chrétienté, de la sainteté, de ce qui nous appartient l’enfance du Christ, que faites-vous de ces innombrables œuvres dont nos cathédrales sont plaines. Que faites-vous de nos cathédrales mêmes et de nos églises. Que faites-vous de tant d’œuvres, non point œuvres d’art seulement, comme les voient nos modernes, mais œuvres d’une éternelle piété. Œuvres qui ne se détachent point du culte et de la prière et de l’adoration au point qu’elles sont comme, qu’elles sont littéralement une inscription charnelle, une inscription temporelle, une inscription lapidaire, pétrée, dans la pierre même, du culte et de la prière, la plus intérieure, et de l’adoration la plus intime. Le corps de l’adoration. […] œuvres dont il faut dire qu’elles sont le corps même du culte, le corps même de la prière, le corps même de l’adoration. L’inscription dans la dure, dans la temporelle, dans l’extérieure pierre de la vie intérieure la plus profonde et la plus tendre. […]

Bannir de chrétienté la jeunesse, nous retrancher de notre christianisme l’enfance notre premier héritage, fleur de chrétienté, source de notre grâce. Retrancher, bannir de chrétienté, source de notre grâce. Retrancher, bannir de chrétienté la pauvreté, le travail, la famille, ces trois piliers de toute vie, quelle tentative de décomposition organique, de désorganisation, de démembrement. […]

Notre thèse, monsieur Laudet, notre position chrétienne, notre proposition est, la voix de notre raison est, (et non pas seulement le cri de notre cœur), que la sainteté est la santé même. […] Que nos saints sont sains. Sanctos esse sanos. Que cette sainteté est la santé même, quelle est la plus haute santé spirituelle, la plus ferme, la plus profonde (904). […] C’est le pécheur qui est malade. […]

La communion des saints est, en un de ses sens, précisément cette saisie directe que nous avons, nous chrétiens, non seulement des saints du quinzième siècle, mais ensemble des saints de tous les siècles, et autant que de tous autres des saints du premier siècle, et ensemble éminemment de Jésus, par la prière et par les sacrements, par la grâce, par les mérites de Jésus-Christ et des saints, cette saisie immédiate, instantanée, intemporelle, éternelle, sans avoir à nous faire aucune archéologie d’âme. […]

A parler rigoureusement, à parler proprement tous les âges sont des âges de foi. Tous les siècles sont les siècles de Jésus (906). […] Depuis Jésus, post Christum natum, tous les siècles temporels sont également situés sous le même niveau, tous les siècles temporels sont régulés sous la même commune régulation interne, qui est la régulation de la loi d’amour. En ce sens tous les siècles de chrétienté se valent, sont les mêmes, sont même le même. Depuis Jésus touts les siècles temporels sont les mêmes, sont le même, sont de la même nature infiniment profonde, de la même texture mystique, littéralement sont de la même éternité. […]

C’est une question éternelle que de savoir si nos saintetés modernes, c’est-à-dire nos saintetés chrétiennes plongeant dans le monde moderne, dans cette vastatio, dans cette abîme d’incrédulité, d’incréance, d’infidélité du monde moderne, isolées comme des phares qu’assaillirait en vain une mer depuis bientôt trois siècles démontée ne sont pas, ne seraient pas le plu agréables aux yeux de Dieu. […]

Miles Christi, tout chrétien est aujourd’hui un soldat ; le soldat du Christ. Il n’y a plus de chrétien tranquille. Ces Croisades que nos pères allaient chercher jusque sur les terres des Infidèles, non solum in terras Infidelium, sed, ut ita dicam, in terras ipsas infideles, ce sont elles aujourd’hui qui nous ont rejoints au contraire, ce sont elles à présent qui nous ont rejoints, et nous les avons à domicile. Nos fidélités sont des citadelles. […]

Le moindre de nous est un soldat. Le moindre de nous est littéralement un croisé. […] Ainsi nous sommes tous des îlots battus d’une incessante tempête et nos maisons sont toutes des forteresses dans la mer. […] Nous sommes tous à la frontière. La frontière est partout. […]

Que tous les siècles de tous les temps lui appartiennent, et ce qui est encore infiniment plus grave, infiniment nouveau, ce qui est le mystère même et le secret et le centre de la Rédemption qu’il appartient à tous les siècles de tous les temps. […]

Je veux bien marcher contre le Parti Intellectuel. J’ai l’habitude. […]

Je ne crois pas que j’aie jamais parlé du monde catholique. J’ai parlé souvent de l’Église, de la communion. Je ne me sens pleinement à moi, je ne touche vraiment le fond de ma pensée que quand j’écris la chrétienté. […]

Le dirai-je, elle était trop profondément peuple et encore plus trop profondément chrétienne et trop profondément sainte. […]

Appelée par une vocation divine en terre humaine, envoyée en mission divine en terre humaine non seulement elle n’opéra jamais, mais elle ne demanda jamais d’opérer, elle ne pria jamais d’opérer que par des moyens humains. […]

Par un recoupement unique de ces deux races, par une élection, par une vocation unique dans l’histoire du monde elle est à la fois sainte entre tous les héros, héroïque entre toutes les saintes. […]

Le pécheur et le saint sont deux pièces essentielles complémentaires, mutuellement complémentaires, qui jouent l’une sur l’autre, et dont l’articulation l’une sur l’autre fait tout le secret de chrétienté. […] Le pécheur tend la main au saint, donne la main au saint, puisque le saint donne la main au pécheur. Et tous ensemble, l’un par l’autre, l’un tirant l’autre, ils remontent jusqu’à Jésus, ils font une chaîne qui remonte jusqu’à Jésus, une chaîne aux doits indéliables. […]

Le chrétien ne se définit point par l’étiage, mais par la communion. […]

Jeanne d’Arc est mon modèle, puisque j’ai entrepris de consacrer tout ce que j’ai à la représentation de cette grande sainte, et c’est Joinville qui est mon maître. […]


Deja un comentario