El resurgimiento católico en la literatura europea moderna (1890-1945)

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«La question juive» (revue Esprit)

esprit

Número de la revista Esprit en el que apareció este texto

 

Editorial de la revista Esprit: «La question juive» (1933)

(Esprit, 1 de mayo de 1933. En Esprit, 1er Année, tome II, Avril-Septembre 1933, pp. 153-154)

 

On ne persécute plus les israélites et leur foi. Par contre, l’hostilité contre le peuple juif s’est réveillée et exacerbée. Les événements allemands, un quart de siècle après l’affaire Dreyfus, la haine dont un  Léon Daudet poursuit encore la mémoire du “ traître ”, les improvisations infamantes d’un Coty au cours de ces derniers mois, la puissance des groupements antisémites dans plusieurs pays de l’Europe centrale, tout prouve que les actes du gouvernement hitlérien sont bien la manifestation, particulièrement violente et odieuse, d’un état d’esprit commun aux nationalistes de toutes les pays.

Scientifiquement fausse, professée par les nazis set les fascistes italiens, comme elle est à la source des doctrines de l’Action française, l’idée raciale dresse touts ses adeptes contre les juifs, éléments “ inassimilables ”, sang éternellement étranger, traîtres prédestinés. Si la droite française a manifesté une si active indignation contre le boycottage des juifs allemands et les brutalités dont certains ont été victimes, c’est qu’elle y a trouvé une occasion d’atteindre l’Allemagne et d’amplifier le mouvement international de réprobation qui s’’est déclenché contre elle. Qu’on n’y voie pas un réveil d’humanité inattendu ni un surprenant élan de sympathie, mais un pur calcul politique. L’Action française n’a pas renié un jour les enseignements de Drumond.

Le conflit entre certaines nations et les juifs, considérés comme un peuple et une unité culturels, est un fait. Plus ou moins brutal, il ne s’apaise jamais dans l’ensemble du monde. Partout, éternellement, le juif est réprouvé sauf quand le poids de son or l’assied solidement au milieu des puissants. Il a pris conscience de cette fatalité ; il sait que le monde moderne ne l’épargnera pas plus que le Moyen-Age. Il ne suffit plus qu’un certain nombre d’hommes, dont nous sommes, proclament l’égale dignité de tous les hommes, s’indignent contre le verdict de Scottborough ou contre les bâtonnades de Berlin. Il faut donner au peuple juif les garanties spéciales qu’on le contraint de réclamer.

Nous avons demandé à l’un des siens d’exposer ici la thèse d’un homme qui a conscience non seulement des intérêts du peuple juif, mais de sa mission spirituelle. Un chrétien y ajoute une protestation que le monde chrétien a fait trop longtemps attendre. Indiquons rapidement nos propres positions.

Le sionisme est une solution que nous ne pouvons accepter. La Palestine est un pays arabe ; les lettres utilisées par une culture proprement dite comme les terres dites incultes et les terres utilisées par l’élevage appartiennent aux Arabes ; on peut envisager un rendement supérieur de ces terres, mais les mesures qui seraient alors à prendre ne peuvent légitimement être prises que par un état arabe ; la première question que se pose est de liquider le mandat britannique ; on ne peut songer à mutiler le futur état arabe au profit d’un état artificiellement crée par importation. D’une manière plus générale on n’a le droit de créer en aucun point du globe une nationalité qui n’est pas ou qui n’est plus liée à ce coin de terre, car ce coin de terre a toujours, si déshérité qu’il soit, son occupant qui est seul ayant droit. L’état juif serait d’ailleurs un état très particulier il ccmprendrait une petite minorité de ressortissants habitant dans le pays juif et une grosse majorité habitant à l’étrander et protégés dans chaque pays par les lois qui protègent les étrangers mais beaucoup de pays contingentent le nombre des étrangers qu’ils admettent au bénéfice de ces lois ce contingentement est fixé isolément par chaque état et laisse les étrangers dans une situation toujours précaire la création d’un état juif dont les possibilités d’absorption seront toujours limitées ne suffit donc pas à résoudre le problème. La solution essentielle est dans la promulgation d’un statut international des Juifs.

Le statut international que nous préconisons devra reconnaître la patrie juive dans sa nature spéciale de patrie sans territoire. Il devra faire aux juifs une place assurée dans chaque état des organisations autonomes dans chaque état, exiger d’eux un loyalisme rigoureux envers l’état où ils résideront. Et c’est devant un organisme international, tribunal ou superétat, que gouvernements nationaux et organisations juives auront à répondre de la manière dont ils rempliront leurs obligations réciproques. De cette manière les Juifs retrouveront normalement le sentiment de leur patrie et des garanties qui lui sont dues, et ne cèderont pas à un nationalisme factice contraire aux intérêts d’autrui et à leurs intérêts propres.

Précisons enfin que si nous élevons ici une protestation contre le pogrom scientifique en Allemagne hitlérienne, nous ne perdons pas de vue qu’il n’est qu’un cas particulier d’un régime inacceptable d’oppression spirituelle, contre lequel nous ne cesserons de protester, parce qu’il n’est pas l’affaire intérieure d’un pays mais un danger public couru aujourd’hui par l’humanité entière. Les juifs ont été boycottés – les banquiers excepté nous signale-t-on, et il va de soi. Les sociaux-démocrates et les communistes en ont connu de plus rudes : 60 coups de matraque pour les premiers, 80 pour les seconds, c’est le tarif. Nous avons vu renaître la chambre de torture, brûler les bibliothèques ; nous assistons à une nouvelle et foudroyante invasion de la tyrannie de l’État, et de la barbarie toute proche de l’homme civilisé, si proche qu’elle semble le gagner comme un feu. Si quelques-uns de nos jeunes gens sont tentés par l’aventure de la brutalité, qu’ils sachent au moins quelles forces ils trouveront en travers de leur route. Il est temps de les organiser.

Carta de Maritain a Pío XII sobre el holocausto

maritain vaticano

Jacques Maritain (en el centro), embajador francés en el Vaticano, el 10 de mayo de 1945

 

Jacques Maritain: «Lettre pour Pie XII (via Mgr Montini) sur l’holocauste» (1946)

(«Note adressée à Mgr Montini». Cahiers Jacques Maritain, nº 23, octubre de 1991, pp. 31-33)

 

Rome, le 12 juillet 1946

Monseigneur,

C’est avec la pleine confiance et liberté de l’amitié, et non comme Ambassadeur, que je me permets d’écrire à Votre Excellence, pour Lui parler d’une supplique que mon cœur de catholique se sent intérieurement pressé de déposer aux pieds du Saint-Père, avec mes sentiments de filiale et profonde dévotion.

Voilà bien des années que je suis frappé du caractère exceptionnellement grave, et en quelque sorte surnaturel, de la haine dont Israël est l’objet de la part de l’antisémitisme auquel Hitler et Rosenberg ont donné sa force la plus sauvage.Pendant cette guerre six millions de Juifs ont été liquidés, des milliers d’enfants juifs ont été massacrés, des milliers d’autres arrachés de leur famille et dépouillés de leur identité, orphelins sans nom ni foyer, le nazisme a proclamé la nécessité d’exterminer les Juifs de la face de la terre (c’est le seul peuple qu’il ait voulu ainsi exterminer comme peuple), une fureur inouïe d’humiliation et de cruauté s’est abattue sur le peuple d’Israël, comme s’il était, malgré lui,jeté sur la voie du Calvaire et configuré aux souffrances de son Messie. Il n’y a pas là seulement un crime contre la justice et le droit naturel parmi tant d’autres crimes qui ont ravagé et avili l’humanité, mais aussi une tragédie mystérieuse qui touche à ces desseins divins devant lesquels saint Paul pliait le genou, et dans laquelle la haine contre le Christ, enveloppant à la fois les chrétiens et l’olivier parmi les branches duquel les gentils ont été entés,s’est déployée d’abord contre le peuple qui a donné au monde Moïse et les prophètes et dont le Christ est sorti selon la chair.

L’inlassable charité avec laquelle le Saint-Père s’est efforcé par tous les moyens de sauver et protéger les persécutés, les condamnations qu’il a portées contre le racisme, lui ont attiré la juste gratitude des Juifs et de tous ceux dans lesquels vit encore la caritas humani generis. L’admirable dévouement de tant de prêtres, de religieux et de laïques catholiques qui ont tout bravé pour cacher et abriter les victimes des lois iniques, a rendu témoignage de leur intime communion avec Lui, et des sentiments qui animent le cœur chrétien. Cependant, et j’ai bien pu m’en rendre compte partout où j’ai passé, ce dont Juifs et Chrétiens ont aussi et par-dessus tout besoin, c’est qu’une voix, — la voix paternelle, la Voix par excellence, celle du Vicaire de Jésus-Christ, — dise au monde la Vérité et lui apporte la lumière sur cette tragédie. Il y a eu à ce sujet, permettez-moi de vous le dire, une grande souffrance par le monde. C’est, je ne l’ignore pas,pour des raisons d’une sagesse et d’une bonté supérieures, et afin de ne pas risquer d’exaspérer encore la persécution, et de ne pas provoquer des obstacles insurmontables à l’action de sauvetage qu’Il poursuivait, que le Saint-Pères’est abstenu de parler directement des Juifs et d’appeler directement et solennellement l’attention de l’univers sur le drame d’iniquité qui se déroulait à leur sujet. Mais maintenant que le nazisme a été vaincu, et que les circonstances ont changé, n’est-il pas permis, et c’est là l’objet de cette lettre, de transmettre à Sa Sainteté l’appel de tant d’âmes angoissées, et de La supplier de faire entendre sa parole ?

Il me semble, — que Votre Excellence ne voie aucune présomption dans ce que je Lui écris ainsi en toute humilité, — il me semble que le moment pour une telle déclaration souveraine de la pensée de l’Église serait particulièrement opportun. D’une part la conscience d’Israël est profondémenttroublée, beaucoup de Juifs sentent intérieurement l’attrait de la grâce duChrist, et la parole du Pape éveillerait sûrement en eux des échos d’uneexceptionnelle importance. D’autre part la psychose antisémite ne s’est pas évanouie, au contraire on voit partout en Amérique comme en Europe,l’antisémitisme se répandre dans bien des couches de la population, comme si les poisons issus du racisme nazi continuaient de faire leur œuvre de destruction dans les âmes, conduisant encore çà et là, en Europe centrale notamment, aux pires violences. Sur un plan qui n’est pas celui de l’Église mais de ce malheureux monde, les difficultés d’ordre politique concernant la «question d’Israël » que la persécution hitlérienne a laissées comme une séquelle aux nations risquent de favoriser ce processus de désintégration psychologique et de déviation morale, et apparaissent comme rendant plus urgente, dans le domaine tout différent de la conscience religieuse et de la vérité surnaturelle, une œuvre d’illumination des esprits. Enfin quand je me rappelle la part que beaucoup de catholiques ont eue dans le développement de l’antisémitisme, soit dans le passé, soit récemment en France et en Europe au temps de l’occupation allemande, soit maintenant encore, en Argentine par exemple, je ne puis m’empêcher de penser qu’une proclamation de la vraie pensée de l’Église serait, en même temps qu’une œuvre d’illumination frappant une erreur néfaste et cruelle, une œuvre de justice et de réparation.

C’est pour toutes ces raisons que, comme catholique et comme fils humblement dévoué de Sa Sainteté, et comme philosophe chrétien, j’ai pris la liberté d’écrire cette lettre à Votre Excellence. Il me semble que si le Saint-Père daignait porter directement sur la tragédie dont j’ai parlé ici les lumières de Son esprit et la force de Sa parole, témoigner de Sa compassion pour le peuple d’Israël,renouveler les condamnations portées par l’Église contre l’antisémitisme, et rappeler au monde la doctrine de saint Paul et les enseignements de la foi sur le mystère d’Israël, un tel acte aurait une importance extraordinaire, et pour préserver les âmes et la conscience chrétienne d’un péril spirituel toujours menaçant, et pour toucher le cœur de beaucoup d’Israélites, et préparer dans les profondeurs de l’histoire cette grande réconciliation que l’Apôtre a annoncée et à laquelle l’Église n’a jamais cessé d’aspirer.

Veuillez agréer, Monseigneur, l’expression de ma haute considération et de mes sentiments personnels de reconnaissante et dévouée amitié

Entretiens avec Claudel sur Israël

claudel. time

Claudel, portada de la revista Time el 21/03/1927

 

Paul Claudel / André Chouraqui: «Entretiens avec Paul Claudel» (1951)

(En André Chouraqui: Le destin d’Israël. Saints-Geosmes: Parole et Silence, 2007, pp. 223-241)

 

18 mai 1951, 11, boulevard Lanne à Paris, Paul Claudel me reçoit une fois de plus dans son bureau. Sur sa table de travail, une Bible et (détail en vérité remarquable) le dictionnaire analogique de Maquet ; ces deux livres sont aussi usés l’un que l’autre. Le vieux poète se détache d’eux pour me dire :

«À mes yeux, Israël est un peuple unique dont le destin et l’importance sont uniques aux yeux de Dieu. Je l’ai compris dès le premier jour de ma conversion lorsque, en sortant de Notre-Dame, j’ai ouvert la Bible à deux endroit ; dans le Nouveau Testament, le récit des Pèlerins d’Emmaüs m’enseignait que la clé des Écritures se trouvait dans l’Ancien Testament. Ouvert, celui-ci m’offrait le prodigieux passage du Chapitre VIII des Proverbes où la Sagesse me faisait entendre son appel, le verbe même de Dieu, sa voix. […] J’ai appris dans l’Ancien Testament qu’il était la clé du Nouveau et que cette clé avait été confiée aux mains d’Israël».

Nos conversations de printemps 1951 suivaient de peu la publication de ses deux derniers livres, “ Une Voix sur Israël ” [1950] et “ l’Évangile d’Isaïe ” [1951]. Ces ouvrages avaient soulevé en France et à l’étranger des polémiques passionnées. Dans les milieux les plus divers, les exégètes, les historiens, les théologiens se penchaient à leur tour sur les pages du poète interrogeant la Bible.

«Je suis le premier écrivain après Léon Bloy à rappeler au monde la vraie grandeur d’Israël. […]

Incontestablement, je souhaite qu’Israël possède toute la Palestine […] pour mieux pouvoir remplir son rôle d’agent de l’humanité, de fils aîné de Dieu, de gardien et de défenseur des Lieux Saints.

Je n’examine pas si Israël doit intégrer l’Église catholique ni ne le requiert : je le crois. Mais Israël est libre et il fera ce qu’il voudra. […] L’Église, au seuil de son âge nouveau, demande un service à Israël en lui demandant de rebâtir en sa patrie reconquise le Haut Lieu de la vertu et de l’espérance des hommes».

Sans le savoir, Paul Claudel rejoint l’axe de la plus profonde pensée de Théodore Herzl, le fondateur de l’État d’Israël. Celui-ci, avant d’avoir songé à reconstituer l’État d’Israël, avait rêvé, pour mettre fin à l’immense tragédie judaïque, d’agir en vue de l’entrée des Juifs au sein de l’Église. Leur conversion massive devait marquer la fin de leur calvaire. La réconciliation judéo-chrétienne pouvait marquer le seuil d’une ère nouvelle pour une humanité réconciliée et sauvée. Pour Herzl, comme pour Claudel, la Jérusalem des Prophètes et des Apôtres devait devenir la capitale du bien universel. Plus précisément, Herzl requérait, plus d’un demi-siècle avant Claudel, que l’enceinte de la Jérusalem traditionnelle devienne le siège de toutes les grandes institutions mondiales chargées d’assurer le triomphe du bien, du droit, de la justice au sein de l’humanité tout entière.

Mais Claudel se reprend, marquant ainsi la distance qui le sépare de la plupart des penseurs juifs contemporains et de Théodore Herzl lui-même :

«Le vrai chemin qui doit unir Israël et l’Église ne passe pas par le bas, il ne doit pas être fondé sur la lavasse humanitaire ou sur ce qu’on appelle la tolérance, mais sur la seule et brûlante personne de Dieu, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. […] Je prie tous les jours pour le triomphe de la fraternité des Juifs et des Chrétiens».

Et, comme pour chasser l’ombre d’un mauvais présage, il évoque ses amis juifs dont la ferveur illumine sa route, Darius Malhaud, tel banquier de Francfort… [Note : Darius Milhaud, compositeur pionnier de la polytonalité, membre du “ Groupe des Six ”, était un ami de Paul Claudel et de Jules Isaac. Il avait été secrétaire du premier au Brésil (1917-1918) et a mis en musique plusieurs de ses poèmes ; il devait soutenir le second dans ses efforts de rapprochement entre Juifs et Chrétiens].

«Jérusalem ressuscite, Israël est à nouveau vivant, paradoxalement, miraculeusement. Il ne faut pas voir petit. Par l’importance qu’il garde aux yeux de Dieu, Israël se voit appelé à une vocation universelle, œcuménique, et je suis surpris de voir que les Juifs actuels n’ont pas toute la conscience de ce qui est le plus caractéristique de leur réalité : ils sont un peuple à part, leur histoire n’est comparable à aucune autre, leur vocation n’est pas médiocre, et c’est grâce à eux que le monde à l’idée d’un Dieu unique, transcendant et personnel. Cette idée, il n’était pas possible de l’avoir et il n’était pas possible de la garder à travers les extraordinaires misères des vingt siècles d’exil sans une grâce particulière de Dieu. […]

Il est claire que la vocation œcuménique d’Israël le pousse à s’adresser à l’homme pur, au-delà des nations et des tribus, et, donc, à l’intérêt de l’homme. L’argent n’est pas mauvais en lui-même, il peut être le véhicule du bien. C’est par lui aussi que l’on fait le bien.

[…] Je ne cesse de lire la Bible dans l’adoration et dans l’agenouillement. Le destin d’Israël est justement de répondre à l’appel du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et non de disparaître dans l’anonymat de l’assimilation. Cette abdication conduirait à renier la vocation qui fait d’Israël le peuple unique, comparable à nul autre.

Tout l’Ancien Testament est là pour nous affirmer qu’Israël est le fils aîné de Dieu à qui des promesses toutes particulières ont été faites. Je crois que la promesse de Dieu a été faite à Israël une fois pour toutes et qu’elle est sans repentance. Pour lui être fidèle, Israël a accompli et devra poursuivre dans le monde un rôle en vérité unique. Les horribles persécutions, les indescriptibles souffrances que les Juifs ont subies dans leur longue histoire sont, elles-mêmes, liées aux atroces prédictions contenues dans les discours parénétiques du Deutéronome. […] Tout esprit doit être accablé devant l’horreur de l’holocauste qui a fait des millions de victimes assassinées pendant la guerre dans les champs de concentration et dans les fours crématoires.

J’ai protesté avec véhémence en pleine occupation contre ces agissements meurtriers ; la lettre que j’ai écrite au Grand Rabbin de France notamment et qui a été publiée pendant l’occupation m’a valu des haines solides. Charles Maurras m’a dénoncé dans son journal à cause de la netteté de ma position et de ma protestation contres les mesures abominables prises en France contre des Français.

Plus tard, j’appris les massacres de Pologne, les victimes, les enfants surtout, ce sont des saints et des martyrs et l’on est confondu devant l’ampleur de la bestialité et de la sauvagerie qui se sont déversées sur Israël. C’est un immense sacrifice et je viens d’employer le mot ‘ holocauste ‘. […]

À la fin de la guerre, j’ai écrit à M. Jacques Maritain, alors Ambassadeur de France au Vatican, pour suggérer que le Pape institue une cérémonie d’expiation pour répondre à l’horreur des crimes commis en Europe contre les Juifs. Je crois encore qu’il serait nécessaire que les Chrétiens instituent une cérémonie d’expiation pour répondre à l’horreur des crimes commis en Europe contre les Juifs. Ce qu’il y a de remarquable et d’inouï, c’est que, pour la première fois sans doute, des Juifs et des Chrétiens ont été mêlés dans un sacrifice commun et ont répandu leur sang ensemble pour lutter contre une même barbarie idolâtre.

Contre la volonté des peuples et des nations, Israël a trouvé le chemin de la Palestine. Il n’y avait absolument pas moyen de faire autrement. La main de Dieu a conduit les Juifs, comme autrefois pour les faire sortir d’Égypte. Comment ne pas voir une intention providentielle et un accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament dans ce retour miraculeux ?

La caractéristique qui m’intéresse particulièrement chez les Juifs c’est qu’ils sont les citoyens de l’Humanité, que pendant des siècles ils ont eu l’Humanité pour patrie, au-delà du temps, au-delà des barrières nationales, tribales, au-delà des langues ; le message d’Israël s’adresse à l’homme pur tel qu’il est sorti des mains de son Créateur.

On m’a reproché dans mon dernier livre, Une Voix sur Israël, d’avoir insisté sur le rôle des Juifs dans le domaine financier. Je ne vois dans ce rôle aucun mal mais, au contraire, l’un des moyens qui ont permis à Israël de faire du bien. […] L’argent n’est pas mauvais en lui-même. Il est le véhicule du bien. C’est par l’argent qu’on peut se faire du bien les uns aux autres et l’Église le reconnaît. […]

Je rends hommage aux Juifs qui surent se rattacher à ces livres irremplaçables et j’envie les jeunes Israélites qui dès leur enfance sont nourris du suc de vos Écritures. […]

Je n’ai pas cessé de lire la Bible dans l’adoration et dans l’admiration de toutes ses richesses. Je voudrais qu’Israël sût qu’il n’est dans le cœur des Chrétiens aucune espèce de haine, aucune espèce de ressentiment, mais seulement un amour fraternel et reconnaissant à leur égard. Je voudrais qu’Israël se rendit compte que je suis poète. […] Si ma voix s’est élevée pour parler à Israël, elle est une voix fraternelle, amicale, sincère, sans faux-semblant. Je suis, je crois, le premier après Léon Bloy à rappeler la vraie grandeur d’Israël, et j’ai eu la joie de m’entendre dire qu’il n’y avait jamais eu d’appel plus sincère, plus chaleureux, plus tendre pour rappeler à ce peuple la pérennité de la promesse qui fait de lui le fils aîné de Dieu, l’ambassadeur de la Maison et de l’honneur de l’Église».

 

Annexe

Voici la lettre adressé à Jacques Maritain, à laquelle Paul Claudel fait allusion :

“Brangues, le 13 décembre 1945

Mon cher Maritain,

Je vous envoie en même temps que cette lettre la nouvelle édition, assez modifiée, d’une de mes pièces les plus importantes [Le Père humilié]. J’y joins un second exemplaire dont je vous serais reconnaissant de faire hommage de ma part à Sa Sainteté.

Je pense souvent à vous et à la mission si importante et si difficile que vous remplissez auprès de Sa Sainteté.

Rien actuellement n’empêche plus la voix du Pape de se faire entendre. Il me semble que les horreurs sans nom et sans précédent dans l’Histoire commises par l’Allemagne nazie auraient mérité une protestation solennelle du Vicaire du Christ. Il semble qu’une cérémonie expiatoire quelconque, se renouvelant chaque année, aurait été une satisfaction donné à la conscience publique…

Nous avons eu beau prêter l’oreille, nous n’avons entendu que des faibles et vagues gémissements. Et maintenant c’est au théologien que vous êtes que je pose une question.

Ne trouvez-vous pas que la situation des enfants juifs massacrés par les nazis a beaucoup d’analogie avec celle des Saints Innocents, et qu’on peut les considérer non seulement comme des élus ayant reçu le baptême du sang, mais comme des martyrs ?

Après tout ils ont été égorgés non seulement en haine de Dieu, mais en haine du Dieu chrétien.

Évidemment d’autres motifs de caractère politique entraient en jeu dans leur exécution – mais pour Hérode également. […]

Je vous salue affectueusement, Paul Claudel».

«Trois Lettres sur Israël» (Claudel)

les-juifs.-plon

Libro colectivo, encabezado por Claudel y en el que participó Maritain, donde se publicó este texto

 

Paul Claudel: «Trois Lettres sur Israël» (1937)

(En P. Claudel et altri: Les Juifs. París: Plon, 1937, pp. V-IX)

 

Lettre à l’organisateur du Congrès juif mondial [mai 1936]

Les catholiques ont eu trop à souffrir, en France même, de la persécution et de la haine inintelligente de la multitude ignorante, ils ont trop à souffrir encore au Mexique et en Espagne d’une violence aveugle et inique, pour qu’ils ne soient pas attachés plus que jamais à la cause de la liberté religieuse. La législation abominable et stupide dirigée contre vos coreligionnaires en Allemagne me remplit d’indignation et d’horreur.

Personnellement, j’ai toujours compté les Juifs parmi mes meilleurs amis, et je n’ai jamais éprouvé de leur part que les procédés les plus délicats.

D’autre part, l’étude continuelle que je fais de la Bible m’a pénétré de l’importance prédominante d’Israël au point de vue de Dieu et de l’humanité. C’est Israël avec un courage héroïque et une audace intellectuelle qui serait inexplicable sans une vocation d’en haut, qui a toujours maintenu, contre les séductions de la Grèce, l’idée d’un Dieu personnel et transcendant, supérieur à toutes les superstitions du paganisme. Et c’est précisément le paganisme renaissant sous la forma la plus basse et la plus hideuse qui vient, une fois de plus, se heurter à cette pierre inébranlable.

J’ai déjà dit tout cela et je le dirai encore, mais les travaux dans lesquels je suis engagé ne me permettraient pas actuellement de rédiger avec le soin nécessaire l’article que vous me demandez [qui servirait en quelque sorte de préface à un Congrès juif actuellement en voie de préparation] sur un sujet qui est depuis longtemps l’objet de mes réflexions assidues et qu’il me serait difficile de traiter fragmentairement. En tout cas vous pouvez faire usage de la présente communication.

 

Lettre au Directeur de Présences,

Je vous autorise bien volontiers à publier la lettre [précédant] que vous me communiquez, mais comme je vous l’ai dit, elle ne représente qu’un côté de la question.

Il y en a un autre sur lequel je n’ai pas, pour le moment, le courage d’insister. C’est un fait pourtant que l’on voit partout des Juifs au premier rang dans les partis de subversion sociale ou religieuse. Peut-être d’ailleurs, dans ce rôle destructeur, obéissent-ils à une sorte de vocation providentielle. Mais il n’est pas surprenant qu’elle entraîne des réactions.

D’autre part il est surprenant de voir tant d’intelligence, un tel esprit de générosité et de sacrifice, un sens si vif des choses spirituelles, aggloméré autour de quelque chose de mort et de pétrifié. On dirait que les Juifs ne lisent plus leurs Écritures ou qu’ils les lisent sans les comprendre. Quand j’habitais l’Amérique, il m’arrivait parfois de trouver dans les journaux des sermons de rabbins. C’était la même dégoûtante lavasse humanitaire que celle qui coule intarissablement des livres protestants. […]

C’est triste pour un fils d’Israël de ne pouvoir plus se distinguer d’un baptiste ou d’un méthodiste.

[…] …Ce dégoûtant humanisme qui, au lieu de s’attacher à l’homme, n’en apprécie que les résidus. […]

 

Fin d’une lettre à G. C. avant sa conversion [21 avril 1932]

Comme vous le savez sans doute, j’ai renoncé maintenant à toute expression fictive, et je vis à genoux dans l’éblouissement sans cesse accru des Libres Saints. C’est un émerveillement qui ne cesse de croître à mesure que j’y attache mon attention, mon cœur et ma pensée. Quelle gloire pour Israël d’avoir été choisi comme rédacteur et comme dépositaire d’un tel message ! […] Ce livre qu’Israël a écrit dans sa propre langue, il ne le lit plus, il ne le comprend plus !

«L’honneur est ce qui nous rassemble» (Bernanos)

guetto varsovia deportados

Judíos deportados del Gueto de Varsovia tras el Levantamiento.

 

Georges Bernanos: «L’honneur est ce qui nous rassemble» (1949)

(Evidences, junio de 1949. En Bernanos: Français si vous saviez…. París: Gallimard, 1961, pp. 322-327)

 

J’écris ces pages en mémoire de Georges Torrès, ami de mon fils Michel, parti du Brésil avec lui pour rejoindre les armées de la France Libre et qui, dans l’enthousiasme et la naïveté de ses vingt ans, croyait devoir quelque chose à mes livres et à moi-même, alors qu’il était déjà écrit que je devrais rester au contraire pour toujours débiteur envers lui de sa pure et noble mort. Georges Torrès était Juif, Juif comme un certain nombre d’amis de mes livres dont la besogne n’est que de classer ce qui échappe a tout classement comme un fou qui prétendrait puiser de l’eau dans un filet à papillons. Il est vrai que la Religion, la Race, la nation permettent de “ situer ” les hommes ainsi qu’un objet dans les trois dimensions de l’espace. Mais, précisément, l’analyse mathématique démontre l’existence d’une quatrième dimension où se rencontrent les parallèles, où l’hyperbole finit par retourner à son point de départ comme un grand oiseau migrateur à son nid d’un autre printemps. L’honneur n’est pas toujours ce qui nous unit, mais il est toujours ce qui nous rassemble.

Le mot d’antisémite n’a évidement pas en lui cette vertu. Mais Drumont ne l’a pas inventé, ni délibérément choisi. Drumont était par naissance et par goût un homme de bibliothèque, un homme d’étude, un historien, et comme tel sans défense contre la foule. La foule s’est emparée de lui, l’a roulé dans son tumulte comme une pierre, puis est allée porter ailleurs ses applaudissements et ses huées. Le mot d’antisémite n’est pas un mot d’historien, c’est un mot de foule, un mot de masse, et le destin de pareils mots est de ruisseler, tôt ou tard, de sang innocent. […]

Ayant décidé de rendre, selon mes forces, justice à des mémoires héroïques, je ne vais pas à elles sous un déguisement quelconque, je vais à elles tel que je suis, sans rien renier de moi-même, de mes amis, de mes maîtres, de mon passé, tel que beaucoup de Juifs me connurent et, me connaissant, m’accordèrent librement leur confiance et leur amitié.

Bref, il [ce livre] s’adresse à ceux qui – pour tout résumer en peu de mots – se sentent incapables de soutenir, contre l’évidence, aux applaudissements des imbéciles confirmés ainsi dans leur sécurité d’imbéciles, que le peuple juif est un peuple absolument pareil aux autres, un peuple moyen formé d’hommes moyens, tenant dans le passé une place moyenne. Au temps de ma jeunesse, il e´tait de bon ton, en effet, de nier qu’il y eût un problème juif, mais ces pudeurs académiques n’ont pas empêché Hitler de poser le problème à sa manière, avec l’immense majorité du peuple allemand pour complice.

Les charniers refroidissent lentement, la dépouille des martyrs retourne à la terre, l’herbe avare et les ronces recouvrent le sol impur où tant de moribonds ont sué leur dernière sueur, les fours crématoires eux-mêmes s’ouvrent béants et vides sur les matins et sur les soirs, mais c’est bien loin maintenant de l’Allemagne, c’est aux rives du Jourdain que lève la semence des héros du ghetto de Varsovie.

Le plus grand malheur d’Israël n’est pas d’avoir été si constamment haï, c’est d’avoir été non moins constamment méconnu et de n’avoir été méconnu que pour s’être méconnu lui-même.

Dans l’extraordinaire récit qu’on va lire, on remarquera qu’une grande partie de la population du ghetto s’est presque jusqu’au bout refusée à organiser la lutte. […] L’honneur juif en effet, depuis deux mille ans, n’est pas de résister par la force, mais par la patience, par tous les moyens de la patience, car le but que se propose, que s’est toujours proposé ce peuple impérissable n’est pas de vaincre, mais de durer ; c’est de la durée qu’il attend le salut. Qu’Israël dure, et le Très-Haut vaincra pour lui. En attendant, l’honneur, c’est de rester juif et de faire des enfants juifs, d’en faire assez pour que tous les pogroms ne puissent anéantir ce que Dieu a ordonné de conserver. […]

Voilà ce que la Chrétienté médiévale n’a pas compris. La Chrétienté médiévale attachait à sa propre conception de l’honneur une importance capitale. […] Elle faisait au Juif l’injure de le dispenser de l’honneur, et nommément de l’honneur militaire, elle fermait obstinément les yeux sur les causes réelles de la survivance du peuple juif à travers l’Histoire, sur la fidélité à lui-même, à sa loi, à ses ancêtres, fidélité qui avait pourtant de quoi émouvoir son âme. Parce que cette fidélité n’était pas une fidélité militaire, de tradition et d’esprit militaire, elle maintenait le Juif hors d’une fraternité militaire dont n’était même pas exclu d’Infidèle.

Oui voilà ce que nous n’avons pas nous-mêmes toujours compris. Si l’honneur pour un peuple n’est pas de vaincre mais de subsister coûte que coûte jusqu’au jour certain, inéluctable, où Dieu doit triompher à sa place, il n’est pas équitable de le juger selon les règles de l’honneur chevaleresque… […] Mais les héros de Varsovie et lui-même ont depuis répondu pour moi.

«Encore la question juive» (Bernanos)

Georges-Bernanos

Georges Bernanos

 

Georges Bernanos: «Encore la question juive» (1944)

(Mayo de 1944. En Bernanos. Le Chemin de la Croix des Ames. París: Gallimard, pp. 421-424)

 

Il y a une question juive. Ce n’est pas moi qui le dis, les faits le prouvent. Qu’après deux millénaires le sentiment raciste et nationaliste juif soit si évident pour tout le monde que personne n’ait paru trouver extraordinaire qu’en 1918 les Alliés victorieux aient songé à leur restituer une patrie, cela ne démontre-t-il pas assez que la prise de Jérusalem par Titus et la dispersion des vaincus n’a pas résolu les problème ?

Ceux qui parlent ainsi se font traiter d’antisémites. Ce mot me fait de plus en plus horreur. Hitler l’a déshonoré à jamais. Tout les mots d’ailleurs qui commencent par “ anti ” son malfaisants et stupides. L’usage du terme anticlérical a fini par faire de ce vocable le synonyme d’antireligieux, réhabilitant du même coup le mot de clérical qui n’a pas du tout la même signification que le mot religieux, comme le faisait remarquer l’autre jour encore l’intrépide archevêque de Toulouse. Quiconque est capable de sacrifier la vérité aux intérêts ou au prestige du clergé et des fidèles – c’est-à-dire de “ mentir pour le bon motif ” – est un clérical et, grâce à Dieu, la plupart des prêtres ou des moines que j’ai l’honneur de connaître ne méritent pas cette épithète.

Je ne suis pas antisémite – ce qui d’ailleurs ne signifie rien, car les Arabes sont aussi des sémites. Je ne suis nullement antijuif. […] Je puis joindre pourtant à leur liste [d’amis en Brésil] deux Juifs également chers à mon cœur. […] Je ne suis pas antijuif, mais je rougirais d’écrire contre ma pensée qu’il n’y a pas de problème juif, ou que le problème juif n’est qu’un problème religieux. Il y a une race juive, il y a une sensibilité juive, une pensée juive, un sens juif de la vie, de la mort, de la sagesse et du bonheur. Que ces traits communs – sociaux ou mentaux – soient plus ou moins accusés, je l’accorde volontiers. Ils existent, voilà ce que j’affirme, et en affirmant leur existence, je ne les condamne ni ne les méprise. Il en est qui s’accordent mal avec ma propre sensibilité, mais je n’en sais pas moins qu’ils appartiennent au patrimoine commun de l’humanité, qu’ils maintiennent dans le monde la tradition et l’esprit de la plus ancienne civilisation spirituelle de l’histoire.

De ce qui précède les imbéciles concluront que je suis raciste. N’importe ! Je ne suis nullement raciste pour affirmer qu’il y a des races. Le racisme condamné par l’Église est l’hérésie qui prétend distinguer entre les races supérieures par essence et les races inférieures destinées à servir les premières, ou à être exterminées par elles. Ce racisme du nazisme allemand ou du ku-klux-klan américain n’a jamais été, pour un Français, qu’une monstruosité dégoûtante.

Il n’existe pas de race française. La France est une nation, c’est-à-dire une œuvre humaine, une création de l’homme ; notre peuple, comme le peuple brésilien, est composé d’autant d’éléments divers qu’un poème ou une symphonie. Mais il y a une race juive. Un Juif français, incorporé à notre peuple depuis plusieurs générations, restera sans doute raciste puisque toute sa tradition morale ou religieuse est fondée sur le racisme, mais ce racisme s’est humanisé peu à peu,, le Juif français est devenu un Français juif ; ses vertus héréditaires, comme les nôtres, sont désormais au service de la nation. J’ai écrit que le génie juif est un génie de contradiction, de refus. Honneur à qui refuse le reniement, honneur à qui dit “ non ! ” à la servitude, à la honte, à la collaboration. […]

En est-il de même pour l’Allemagne ? L’idée raciste a malheureusement toujours faussé la conscience germanique. Ce racisme est un racisme d’agression, de conquête. […] L’âme juive et l’âme allemande communient dans le même orgueil, le même déchirant complexe d’infériorité, la même amertume aussi, car une race supérieure, une race élue, a nécessairement le sentiment de sa solitude parmi les nations, elle se croit haïe et enviée par tout. Lorsque j’ai écrit que le génie juif est profondément accordé au génie allemand, je voulais dire d’abord que le milieu allemand, loin de tempérer certains caractères particuliers à la race juive, les entretient et les exaspère.

Ce sont là, j’en conviens, des considérations un peu prétentieuses pour un simple article de journal. Je crois qu’elles n’ont rien qui puisse offenser ceux de mes compatriotes juifs qui se sont mis sans réserve au service de la France, et que la France ne songera jamais à renier.

Ridruejo, ante el antisemitismo nazi en Rusia

judios guetto varsovia

Columna de judíos cautivos en el Gueto de Varsovia

 

Dionisio Ridruejo: «Cartas desde el frente» (1942)

(Arriba, 15 de septiembre de 1942. En D. Ridruejo. Materiales para una biografía. Madrid: Fundación Santander Central Hispano, 2005, p. 88. [Ed. Jordi Gracia]).

 

Aún en Radozcovice he visto pasar un grupo de judíos, marcados, abatidos, con la mirada vaga. No sé de dónde ni hacia dónde. Pienso –mientras siento una gran piedad– que una cosa es la comprensión de la teoría y otra la de los hechos. Comprendo la reacción antisemítica del Estado alemán. Se comprende por la historia de los últimos veinte años. Se comprende –aún más hondamente– por toda la historia. La ira alemana no es sino un episodio. Esto ha sucedido antes y seguramente sucederá después de una o de otra manera. Esta persistencia del pueblo judío y este cíclico retorno a la destrucción del templo –allí donde se haya levantado y de cualquier forma que haya sido: por el poder, por la riqueza, por la acción directa– es uno de los problemas más fascinantes de la historia. Sin creer en la efectividad de la culpa y la maldición remotas no se entiende esto. ¿Sucederá mañana en los Estados Unidos lo que hoy en Alemania? Pero si esto –e incluso las particulares razones nazis– se comprende, deja de comprenderse tan pronto como nos encontramos en concreto, cara a cara, con el hecho humano: estos judíos traídos a Polonia o extraídos de ella que sufren, trabajan, probablemente mueren. Si se comprende no se acepta. Ante estos pobres, temblorosos seres concretos, se hunde la razón de toda la teoría. A nosotros –no ya a mí– nos sorprende, nos escandaliza, nos ofende en la sensibilidad, esta capacidad para el desarrollo de la crueldad fría, metódica, impersonal, con arreglo a un plan previsto “desde fuera del terreno”. El repentino y pasional saco, a sangre y fuego; la liquidación brutal, instantánea, explosiva; el ajuste de cuentas, nos parecen más explicables, más aceptables. Llega hasta donde la sangre llega. Allí –en la sonrisa desvalida de un niño, en la hermosura o decrepitud de una mujer, en el temblor de un anciano– rompe y se disuelve. Este es sin duda, individualmente, menos cruel, menos salvaje, menos crudo. Pero es peor. Aun tratándose –si se trata– de una sentencia divina, es triste cosa ser verdugo. No sé si he de lamentar que así sea, pero entre nosotros estas columnas de judíos levantan tempestades de conmiseración en la que, por otra parte, no se incluye simpatía alguna. Acaso, en conjunto, nos repugnan los judíos. Pero no podemos por menos de sentirnos solidarios con los hombres. Sólo tengo vagos datos sobre los métodos de persecución, pero por lo que vemos es excesiva. Da pena –aparte consideraciones humanas– pensar lo que podría ser la vuelta de esta ciénaga de odio y de dolor si un revés la arrojase otra vez sobre Alemania. Ningún Estado, ninguna Idea, ningún Sueño de porvenir, por nobles, afortunados o hermosos que sean –y yo creo en los sueños alemanes hasta donde puedo creer–, puede tener este poder de indiferencia ante el delicado e inmenso negocio de las vidas humanas sin perjudicarse gravísimamente. En nuestra viva adhesión a la esperanza de Europa que hoy es Alemania, éstas son las pruebas, los escrúpulos más difíciles de salvar. Me consta que en Grodno, en Vilna y en algunos otros sitios, entre nuestros soldados y los alemanes ha habido reyertas y golpes por causa de judíos y polacos, especialmente por causa de niños y mujeres eventualmente objeto de alguna brutalidad. Esto me alegra. Cada cosa debe quedar en su sitio.

«L’impossible antisémitisme» (1937)

jacques y raissa maritain

Jacques Maritain y su esposa Raïssa Oumansoff, inmigrante rusa de origen judío

 

Jacques Maritain: «L’impossible antisémitisme» (1937)

(En Claudel et altri: Les Juifs. París: Plon, 1937, pp. 46-71)

 

Les Juifs ne sont pas une “ race ” au sens biologique de ce mot ; on sait assez qu’en l’état actuel de l’humanité, il n’y a pas, pour les groupes de quelque importance, même pour ceux qui sont à ce point de vue les plus favorisés, de races pures ; et loin que les Juifs fassent exception, les mélanges de sang, les brassages ethniques ont été au cours de l’histoire aussi importants chez eux que dans les autres groupes humains. Au sens éthico-historique, selon que le mot “ race ” se caractérise avant tout par une communauté de structures mentales et morales, d’expérience ancestrale, de souvenir et de désirs, où la charge héréditaire, la qualité du sang, le type somatique jouent un rôle plus ou moins important, mais seulement le rôle de base matérielle, les Juifs sont une race ; comme les Ibères ou les Bretons. Mais ils sont bien plus encore (46).

Ils ne sont pas une “ nation ”, si par ce mot en entend une communauté historique liée par l’unité d’origine ou de nativité (race ou ensemble de races historiquement jointes au sens éthico-historique du mot race) et menant ensemble une vie politique ou aspirant à une vie politique. Le yiddish n’a nullement le caractère d’une langue nationale ; c’est la langue de la misère et de la dispersion, l’argot de la cité sainte jetée en morceaux parmi les nations et foulée par elles. Un petit nombre de Juifs, réunis en Palestine, forment une nation, et l’hébreu est leur langue nationale. Cas spécial et à part, ils attestent par là que tous les autres (il y a environ 16 millions de Juifs dans le monde) ne sont pas une nation.

Les Juifs du foyer palestinien, eux, ne sont pas seulement une nation ; ils tendent à devenir un État (un tout politique complet ou “ parfait ”). La grande masse d’Israël obéit à une loi contraire. Elle ne tend à aucun titre à se constituer en cité temporelle. De par une vocation foncière Israël répugne, du moins tant qu’il n’a pas achevé d’accomplir sa mystérieuse tâche historique, à devenir tout entier une nation, et, bien plus encore, à devenir tout entier un État. La dure loi de l’exil, de la Galuth, brise en les Juifs de la diaspora toute aspiration au convivium politique.

Si l’on donne au mot “ peuuple ” le simple sens de multitude rassemblée en une aire géographique déterminée, et peuplant cette région de la terre (Daseingemenschaft), les Juifs ne sont pas un peuple. Selon que le mot “ peuple ” es synonyme de “ nation ”, ils ne sont pas un “ peuple ” ; selon qu’il est synonyme de “ race ” (au sens éthico-historique), ils sont un peuple, et plus qu’un peuple ; selon qu’il désigne une communauté historique caractérisée non pas, comme la nation, par le fat (ou le désir) de mener une vie politique mais par le fait d’être nourris d’une même tradition spirituelle et morale et de répondre à une même vocation, [les Juifs] sont un peuple, et le peuple par excellence, le peuple de Dieu. […]

Israël est un mystère. Du même ordre que le mystère du monde et le mystère de l’Église. Au cœur comme eux de la Rédemption. Une philosophie de l’histoire appuyée à la théologie peut essayer de prendre quelque intelligence de ce mystère ; il la dépasser toujours de toutes parts. […]

Disons tout de suite que si saint Paul a raison, ce qu’on appelle le problème juif est un problème sans solution, j’entends avant la grande réintégration annoncée par l’apôtre, et qui sera comme une résurrection d’entre les morts. Vouloir trouver une solution à la question d’Israël c’est chercher à arrêter le mouvement du monde. […]

La solution d’un problème pratique, c’est la fin de la discorde et du conflit, la contradiction surmontée, la paix. Déclarer qu’au problème d’Israël il n’y a pas – absolument parlant – de solution, c’est entrer dans le conflit et dans une sorte de guerre. Il y a deux manières de le faire : une manière animale, – entrer par la violence et la haine, ouverte ou masquée, prudente ou enragée, dans une guerre charnelle dirigée à l’extermination, à l’éviction ou à l’asservissement des Juifs, guerre du monde et de l’animalis homo contre Israël. C’est la position antisémite. L’autre manière est proprement chrétienne. Elle consiste à entrer par la compassion aux douleurs du Messie et par l’intelligence de la charité dans une lutte spirituelle dirigée à l’accomplissement de l’œuvre de la délivrance du genre humain, lutte de l’Église et du spiritualis homo pour le salut du monde et le salut d’Israël ; c’est la position catholique ou paulienne, laquelle au surplus veut qu’on engage au temporel un constant travail d’intelligence concrète qui ne résout ni ne surmonte définitivement les antinomies, mais à chaque moment de la durée invente de quoi les supporter et les assouplir.

Il est difficile de n’être pas frappé de l’extraordinaire bassesse des grands thèmes généraux de la propagande antisémite. Les hommes qui dénoncent la conspiration mondiale d’Israël pour l’asservissement des nations, le meurtre rituel, l’universelle perversité des Juifs procurée par le Talmud, ou qui expliquent que l’hystérie juive est cause de tous les maux soufferts par le dolichocéphale blond aux yeux bleus, caractéristique de ces races supérieures où par malheur les yeux noirs et les cheveux bruns se rencontrent le plus fréquemment, ou que les Juifs sont unis comme un seul homme dans le dessein de corrompre moralement et subvertir politiquement la chrétienté, ainsi qu’il appert d’une pièce manifestement forgée comme les Protocoles de Sion, bref qui savent que tous les Juifs regorgent d’or et que tout irait bien sur la terre si on en finissait une fois pour toutes avec cette race immonde, semblent nés pour attester qu’ile st impossible de haïr le peuple juif en restant intelligent.

Et il ne savait pas ce qu’il faisait ; mais ses chefs savaient bien qu’ils choisissaient contre Dieu. Dans un de ces actes de libre arbitre qui engagent le destin de la communauté, les prêtres d’Israël, les mauvais gardiens de la vigne, les tueurs de prophètes, avec de bonnes raisons de prudence politique ont opté pour le monde, et à cette option tout le peuple était désormais lié, – jusqu’à ce qu’il change lui-même. Crime de prévarication cléricale, prototype inégalable de tous les crimes semblables.

Le corps mystique d’Israël est une Église précipitée. Ce n’est pas une contre-Église. Pas plus qu’il n’existe de contre-Dieu, ou de contre-Épouse. C’est une Église infidèle (tel est la véritable sens de l’expression liturgique “ perfidia judaïca ”, qui ne signifie nullement que les Juifs sont perfides). Le corps mystique d’Israël est une Église infidèle et répudiée (et voilà pourquoi Moïse avait accordé figurativement le libellum repudii), – répudiée comme Église, non comme peuple. Et toujours attendue de l’Époux, qui n’a pas cessé de l’aimer.

Attendue, elle le sait, mais le sait mal.

La communion de ce corps mystique n’est as la communion des saints, c’est la communion de l’Espérance terrestre. Israël espère passionnément, attend, veut l’avènement de Dieu dans le monde, le royaume de Dieu ici-bas. Il veut, d’une volonté éternelle, d’une volonté surnaturelle et déraisonnable la justice dans le temps, dans la nature et dans la cité. La sagesse grecque n’est rien pour lui, ni la mesure, ni le bonheur des formes. La beauté qu’il cherche est celle dont le nom est ineffable, et il la veut dans cette vie charnelle, aujourd’hui.

Une foi qui fasse violence à toutes les suites du péché d’Adam, pour me donner aujourd’hui, tangiblement, la substance que j’espère, et l’accomplissement du désir que Dieu a mis em moi, et donc qui me mette en possession de l’intégrité des Promesses, voilà sa foi, – tel qu’il brûle de l’avoir et doute en même temps s’il l’a (car, s’il l’avait, il aurait vaincu le mal). D’une telle notion de la foi, outrancière sans doute par rapport à l’enseignement rabbinique mais si profondément juive, la philosophie de Chestov est un témoin incomparable. Le jour seulement où sa soif de justice serait assouvie sur la terre, et le miracle à sa disposition, Israël serait assuré d’avoir ou d’avoir eu la foi. Jusque-là, l’angoisse et le doute demeurera au cœur de la foi juive.

Et la charité juive est aussi une vertu précipitée ; je ne dis pas un faux amour, loin de là ! La charité divine y peut être présente, comme elle en peut être absente. Et ce n’est pa non plus la pitié luthérienne ni la pitié slave. C’est un amour actif et à l’occasion cruel de la créature comme telle, à laquelle il s’agrippe, qu’il tourment, qu’il ne lâche plus, pour l’obliger à prendre conscience de son mal et à s’en délivrer.

Espérance terrestre, les Juifs ont en excès ce dont la moyenne des Chrétiens n’a pas assez. La foncière carence de leur communion mystique, c’est l’inintelligence de la croix, le refus de la croix, et donc de la transfiguration. L’aversion de la croix est essentielle au judaïsme, en tant que ce mot désigne la forme spirituelle selon laquelle Israël s’est retranché de son Messie. Chez tous les Juifs où habite la grâce, comme dans toutes les âmes de bonne foi et de bonne volonté, l’œuvre de la croix est là aussi, mais voilée et méconnue, et subie malgré eux. Malgré lui et dans un brouillard obscur, le bon Juif, le Juif selon l’esprit porte la douce croix, et trahit en cela le judaïsme sans le savoir. Qu’il commence à prendre conscience de ce mystère du pardon, par le sang de l’Agneau, le voilà sur le chemin du christianisme.

En Jesús seul et dans son corps mystique pris comme tel le diable n’a pas de part. Il a sa part en Israël comme dans le monde, mais Israël lutte contre lui. Le drame d’Israël, c’est de lutter contre le prince de ce monde en aimant le monde, en étant attaché au monde. Et en sachant mieux que quiconque la valeur du monde.

Israël a un double rôle à l’égard de l’histoire du monde et du salut du monde. En ce qui regarde directement ce salut, il est un témoin, et quel témoin ! Il (53) garde le dépôt des Écritures (l’Église, il ne faut point l’oublier, s’est incorporé le travail des rabbins et des Massorètes pour l’établissement du texte de l’Écriture, comme le travail des philosophes et d’Aristote pour sa théologie) ; et lui-même Israël il est tout le long des temps une vivante et indestructible archive des promesses de Dieu.

En ce qui regarde indirectement le salut du monde, il obéit à une vocation sur laquelle, à mon avis, il convient d’insister avant tout, et qui donne le mot de bien des énigmes. Tandis que l’Église est assignée à l’œuvre du rachat surnaturel et supratemporel du monde, Israël est assigné, dans l’ordre de l’histoire temporelle et de ses finalités propres, à une œuvre d’activation terrestre de la masse du monde. Il est là, lui qui n’est pas du monde, au plus profond de la membrure du monde, pour l’irriter, l’exaspérer, le mouvoir. Comme un corps étranger, comme un ferment activant introduit dans la masse, il ne laisse pas le monde en repos, il l’empêche de dormir, il lui apprend à être mécontent et inquiet tant qu’il n’a pas Dieu, il stimule le mouvement de l’histoire. […]

Jetons encore un regard sur l’étrange symétrie croisée qui nous occupe ici. Du côté des chrétiens, l’Église suit sa vocation divine, et ce n’est pas le christianisme, c’est la chrétienté, le monde chrétien, qui a failli (au temporel) sans vouloir entendre la parole de l’Église, qui tout en dirigeant les hommes vers la vie éternelle, leur demande aussi de faire avancer la vie terrestre dans le sens de l’Évangile. Du côté des Juifs, c’est Israël comme Église, c’est le judaïsme qui a failli (au spirituel) ; et c’est Israël comme peuple toujours choisi, c’est la judaïcité qui poursuit dans l’histoire une vocation surnaturelle (mais ambiguë).

Comme le monde et l’histoire du monde, le corps mystique d’Israël et son action dans le monde sont des réalités ambivalente, et les remarques précédentes permettent peut-être de comprendre que dans le cas d’Israël cette ambivalence est portée à l’extrême ; il en va ainsi chez tous les consacrés, dont la puissance pour le bien et pour le mal est surnaturellement accrue.

La volonté d’avoir l’absolu dans le monde peut prendre toutes les formes ; elle peut engendrer, quand elle s’enferme dans l’humain et le contingent, ou quand elle vire à l’athéisme, au moins pratique, l’hypertrophie d’activité dans le maniement des biens de la terre et dans l’enrichissement, qui trouve dans la civilisation capitaliste un milieu comme préadapté ; ou cette impatiente révolutionnaire et cette agitation forcenée que Bernard Lazare et beaucoup d’autres Juifs se sont plu à signaler ; quand elle s’enfièvre des blessures du sens et du ressentiment, cette virulence dans le pessimisme par où l’amertume et la colère deviennent un instrument de découverte d’une singulière puissance, et un détecteur lui-même désaxé du mensonge et de l’illusion de la belle âme, du bon ordre et de la bonne conscience. Elle peut surtout produire, quand elle est selon la chair et qu’elle affecte les choses de l’âme, le pharisaïsme, l’orgueil racial, et les aveuglantes subtilités et les impitoyables duretés du culte de la lettre et du purisme légal.

Mais quand elle est selon l’esprit, elle fait germer la vraie pureté, cette pureté de l’âme et des mœurs dont beaucoup de familles juives gardent la tradition ; elle produit l’ascétisme et la piété, l’amour de la parole de Dieu et de son exégèse raffinée, la droiture du cœur, et cette innocence subtile, et cette spiritualité ardente dont les mystiques hassidim offrent un singulier exemple, et qui nous montre quelle est, “ quand Israël aime Dieu ”, la vraie figure d’Israël ; et elle s’exprime avant tout dans le zèle de la justice, et dans un amour de la vérité qui est la marque la plus haute de l’élection de ce peuple. Ecce vere Israelita, in quo dolus non est, le Seigneur Jésus lui-même a rendu témoignage au véritable Israël. les vrais fils de Sion pensent toujours, comme aux temps du Psalmiste et d’Isaïe : “ Qu’ils sont beaux sur les montagnes, les pieds de ceux qui annoncent la paix… Ah ! n’ôte jamais de ma bouche le verbe de vérité !

Viens étancher la soif de ta justice pure

et de toi-même, Dieu ! Ô ma source ô ma fin ! (Raïssa Maritain)

L’amour de la vérité à en mourir, la volonté de la vérité pure, absolue inaccessible car elle est celui même dont le Nom est ineffable, voilà ce que les meilleurs des Juifs tiennent d’Israël et du Saint-Esprit, et ce qui fait exulter leur cantique dans la fournaise.

Disons, pour tout résumer, que l’ambivalence d’Israël et l’ambiguïté de son destin se manifestent le plus clairement dans le double centre d’attraction, l’un illusoire, l’autre réel, qui déchire son existence. Selon qu’il a laissé la réalité pour la figure, l’Argent (c’est un des thèmes les plus profonds de Bloy, et certaines remarques de Karl Marx rendent un son semblable), l’Argent exerce sur lui une attraction mystique, parce que l’Argent est dans les plus pâles ombres du monde la figure la plus pâle et la plus irréelle du Fils de Dieu : l’argent est la sang du Pauvre, disait Léon Bloy, – la sang du Pauvre transmué en signe ; dans ce signe et par ce signe, et les dignes de ce signe, l’homme sert une inerte toute-puissance qui fait toute ce qu’il veut, il débouche dans une sorte de théocratie cynique, ultime tentation religieuse de qui refuse la réalité du don de Dieu.

Mais selon qu’il est toujours aimé, et toujours appuyé sur les promesses sans repentance, c’est la Justice de Dieu, comme je viens de le dire, et la Justice de Dieu à manifester dans la vie d’ici-bas, qui est l’autre centre d’attraction d’Israël. […]

Ils savent de quelles vertus d’humanité, de générosité, d’amitié l’âme juive est capable ; Péguy a célébré ses amitiés juives. […] Et puis il y a la vertu humaine fondamentale, la patience au travail ; il y a le goût indéracinable de l’indépendance et de la liberté, le feu de l’intelligence, la vivacité de l’intuition et de l’abstraction, la faculté de se passionner pour les idées et de dévouer à elles.

Mais ce qu’il importe avant tout de remarquer, c’est que les diverses causes particulières que l’observateur peut assigner à l’antisémitisme, depuis le sentiment de haine de l’étranger, naturel au groupe social, jusqu’aux inconvénients sociaux produits par certaines arrivées d’immigrants, et aux griefs variés indiqués plus haut, dissimulent une racine de haine encore plus profonde. Si le monde hait les Juifs, c’est qu’il sent bien qu’ils lui seront toujours surnaturellement étrangers ; c’est qu’il déteste leur passion de l’absolu et l’insupportable stimulation qu’elle lui inflige. C’est la vocation d’Israël que le monde exècre. […]

Le Juif se perd s’il s’installe, je parle de l’installation comme phénomène spirituel, comme perte de l’inquiétude stimulatrice et manque à la vocation. L’assimilation concerne un tout autre problème, d’ordre social et politique, non spiritual. Un Juif “ assimilé ” pet n’être pas “ installé ”. L’assimilation, pas plus que le yiddishisme et que le sionisme n’est la solution de la question d’Israël, mais l’assimilation comme l’autonomisme et comme le sionisme est un accommodement partiel, une solution d’entretien, bonne et souhaitable dans la mesure où elle est possible. Elle s’était produite autrefois sur une large échelle dans les périodes hellénistique et hispano-arabique. Il reste qu’elle comporte un risque, – et le sionisme aussi (comme État), – le risque pour les Juifs de s’installer, de devenir comme les autres, je dis au spirituel ; de perdre la vocation de la maison d’Israël. Fût-ce par les plus vils instruments, leur Dieu les frappe alors. Jamais Juifs n’avaient été plus assimilés que les Juifs allemands ; d’autant plus attachés à la culture allemande qu’elle était en partie leur œuvre ; germanisés jusqu’aux moelles, ce qui ne les rendait ni plus discrets ni plus humbles, et non seulement assimilés, mais installés, mais voulant plaire, mais bien réconciliés avec le prince de ce monde. Les Juifs qui deviennent comme les autres deviennent pires que les autres. (Quand un Juif reçoit la grâce chrétienne, il est moins que jamais comme les autres : il retrouve son Messie).

Nous avons fait allusion à l’extrême sottise des mythes antisémites, et nous avons dit qu’il n’est pas jusqu’à cette stultitia qui n’ait elle-même une signification occulte. La haine des Juifs et la haine des chrétiens viennent d’un même fond, d’un même refus du monde qui ne veut pas être blessé, ni des blessures d’Adam, ni des blessures du Messie, ni par l’aiguillon d’Israël pour son mouvement dans le temps, ni par la croix de Jésus pour la vie éternelle. On est bien comme on est, on n’a pas besoin de grâce ni de transfiguration, on se béatifiera dans sa nature. Ce n’est pas l’Espérance chrétienne en Dieu auxiliateur, ni l’Espérance juive de Dieu sur terre, c’est l’Espérance de la vie animale et sa force profonde et en quelque sorte sacrée, démoniaque, quand elle s’empare de l’être humain qui se croit trompé par les messagers de l’absolu.

Le tellurisme raciste est antisémite et antichrétien. L’athéisme communiste n’est pas antisémite, il lui suffit d’être universellement contre Dieu. Dans l’un et l’autre un même naturalisme absolu se fait jour, une même détestation de tout ascétisme et de toute transcendance. Assez de contraintes de Dieu, place aux contraintes de l’homme, on verra si elles sont plus douces. Plus de morale des esclaves, – des faibles, des souffrants, des impuissants déguisés en miséricordieux. On verra si la morale du sang ou la morale de la sueur sont des morales d’hommes libres. C’est la vie mystique du monde qui va s’épanouir héroïquement, tout corpus mysticum constitué à part du monde doit être rejeté come tel.

Mais quoi ! L’histoire les a tellement intoxiqués de judéo-christianisme qu’ils ne peuvent pas ne pas vouloir sauver le monde avec cela. Et les racistes restent débiteurs de l’Ancien Testament, comme les communistes du Nouveau. C’est des Écritures des Juifs que es premiers ont tiré pour la corrompre l’idée d’une race prédestinée, d’un peuple de Dieu ; c’est de l’Évangile que les second ont reçu, en la dénaturant, l’idée d’une universelle délivrance et fraternité humaine.

Aussi haï du monde que le Juif, aussi désorbité dans le monde, mais enté à sa place sur l’olivier de Juda, et membre d’un corps mystique qui est le corps du Messie d’Israël victorieux du monde, le chrétien peut seul donner toutes ses dimensions à la tragédie juive, et c’est d’un regard fraternel, et non sans trembler pour lui-même, qu’il doit regarder les hommes engagés dans cette tragédie. Juif et chrétien dialoguent d’un extrême à l’autre. S’ils sont vraiment pieux et bons l’un et l’autre, ils se connaissent, ils rient de se rencontrer sur les terrains du prince de ce monde et sur les chemins d’Yahveh.

Les réflexions contenues dans cette étude avaient pour objet d’expliquer dans une certaine mesure le pathétique de la situation du peuple juif ; peut-être nous aident-elles à comprendre comment, souvent malgré lui, et en manifestant parfois sous des modes contrastants une messianisme matérialisé qui est la face obscure de sa vocation à l’absolu, mais aussi avec une ardeur, une intelligence, un dynamisme admirables, il témoigne du surnaturel au sein de l’histoire humaine. De là les conflits et la tension qui, sous toutes sortes de masques, ne peuvent pas ne pas exister entre Israël et les nations.

C’est une illusion de croire que cette tension peut disparaître (du moins avant l’accomplissement des prophéties) ; c’est une vilenie, – une de ces vilenies naturelles à l’homme animal (qu’il soit arabe et lui-même descendant de Sem, ou slave, ou latin, ou germain…), et dont le christianisme seul peut, dans la mesure où il est réellement vécu, délivres les peuples, – de vouloir en finir avec la question par la violence antisémitique, ouvertement persécutrice ou politiquement mitigée. L’unique voie est d’accepter cet état de tension, et d’y faire face en chaque circonstance particulière, non dans la haine, mais dans l’intelligence concrète que l’amour exige de chacun pour qu’il s’accorde vite avec son adversaire pendant qu’il fait route avec lui, et dans la conscience que “ tous ont péché, et ont besoin de la gloire de Dieu ”, omnes quidem peccaverunt, et egent gloria Dei. “ L’histoire des Juifs, disait Léon Bloy, barre l’histoire du genre humain comme une digue barre un fleuve, pour en élever le niveau ”. (Bloy : Le salut par les Juifs).

L’irréductible tension dont il est question ici se manifeste de deux façons bien différentes, sur le plan spirituel et sur le plan temporel.

Sur le plan spirituel, le drame d’amour entre Israël et son Dieu, qui rend les nations participantes à l’économie du salut, et qui n’est qu’un élément du mystère universel de la rédemption, se dénouera seulement par la réconciliation de la Synagogue et de l’Église. Sur le plan temporel, s’il n’y a pas non plus, avant l’accomplissement des prophéties, de solution au sens pur et simple du mot, ou vraiment décisive, à la question d’Israël, il y a cependant des solutions partielles ou provisoires, des réponses particulières dont la recherche est le propre de la sagesse politique et qu’il appartient aux divers âges de l’histoire de tenter. […]

Nous pensons qu’à l’opposé de l’absurde parodie médiévaliste hitlérienne, un pluralisme fondé sur la dignité des personnes humaines, et qui, sur la base de la complète égalité des droits civiques, et du respect effectif des libertés de la personne dans sa vie individuelle et sociale, reconnaîtrait aux diverses familles spirituelles entrant dans le convivium de la cité temporelle un statut éthico-juridique propre pour les questions dites mixtes (chevauchant sur le spirituel et le temporel), représenterait, entre autres avantages, pour les nations qui seraient capables de ce type de civilisation, la tentative de règlement organique de la question juive la mieux adaptée à notre climat historique. C’est par des accords directs avec la communauté spirituelle juive institutionnellement reconnue, que seraient résolues les questions intéressant à la fois cette communauté et le bien commun de la cité.

Le pluralisme dont nous parlons ici concerne les familles spirituelles vivant ensemble dans la même cité. Le même régime d’organisation des libertés selon un ordre, pour reprendre un mot d’Aristote, véritablement “ politique ”, et non “ despotique ”, pourrait et devrait s’étendre, dans les pays qui comportent une diversité de communautés nationales, à ces diverses communautés vivant ensemble dans la même cité politique (dans le même État) ; et l’affreuse oppression subie de nos jours par beaucoup de minorités nationales semble requérir avec une urgence particulière une solution de cette nature. Mais famille spirituelle et communauté nationale sont des choses bien différentes ; on se donne volontairement à une famille spirituelle, on appartient naturellement (bien qu’on puisse aussi la quiter) à une nationalité. Un régime pluraliste des familles spirituelles est compatible, non seulement avec le convivium politique dans l’État, mais avec un “ ajustement ” et même une très complète assimilation nationale. Un régime pluraliste des communautés ou minorités nationales implique pour autant le renoncement à l’assimilation (bien qu’il ne répugne nullement au convivium politique d’ans l’État). En ce qui concerne les Juifs, il est clair que dans les pays o`y existe une communauté ou minorité nationale juive, une inévitable complication proviendrait, en régime pluraliste, de la distinction nécessaire entre communauté nationale juive et famille spirituelle juive : un homme de nationalité non juive peut se convertir au judaïsme ; un homme de nationalité juive peut être chrétien ou libre-penseur. […]

Appelé peut-être à devenir un jour le centre animateur de toute la judaïcité dispersée, le sionisme a à nos yeux une importance historique du premier plan. Mais il n’est pas encore la délivrance de l’exil. […]

C’est en obéissant à l’esprit du monde, non à l’esprit du christianisme, que des chrétiens peuvent être antisémites. Au point de vue de sa caractérisation morale dans les perspectives catholiques, et lorsqu’il se répand parmi ceux qui se disent les disciples de Jésus-Christ, l’antisémitisme apparaît comme un phénomène pathologique qui révèle une altération de la conscience chrétienne. […] Alors, au lieu de reconnaître dans les épreuves et les épouvantes de l’histoire la visitation de Dieu, et d’entreprendre les tâches de justice et de charité requises par cela même, elle se rabat sur des fantômes de substitution concernant une race entière. [Note : Qu’on n’oublie pas que l’antisémitisme a été condamné par l’Église catholique (Cfr. le Déccret du Saint-Office du 25 décembre 1928 ; cité dans Die Erfüllung, juin 1936)].

Ce n’est pas peu de chose “ pour ” un chrétien de haïr ou de mépriser, ou de vouloir traiter d’une manière avilissante la race d’où son dieu et la Mère immaculée de son Dieu sont issus. C’est pourquoi le zèle amer de l’antisémitisme tourne toujours à la fin en un zèle amer contre le christianisme lui-même.

“ Supposez, écrivait Léon Bloy, que des personnes autour de vous parlassent continuellement de votre père et de votre mère avec le plus grand mépris et n’eussent pour eux que des injures ou des sarcasmes outrageants, quels seraient vos sentiments ? Eh bien, c’est exactement ce qui arrive à Notre-Seigneur Jésus-Christ. On oublie ou plutôt on ne veut pas savoir que notre Dieu fait homme est un Juif, le Juif par excellence de nature, le Lion de Juda ; que sa Mère est une Juive, la fleur de la race juive ; que les Apôtres ont été des Juifs, aussi bien que tous les Prophètes ; enfin que notre Liturgie sacrée tout entière est puisée dans les livres juifs. Dès lors, comment exprimer l’énormité de l’outrage et du blasphème qui consistent à vilipender la race juive ? ”. (Bloy : Le Vieux de la Montagne).

«Israel, la insoluble» (Maeztu)

manifestacion bundista judios 1917

Manifestación de judíos socialistas polacos (bundistas) en 1917

 

Ramiro de Maeztu: “Israel, la insoluble” (1919)

(La Correspondencia de España, 29/05/1919, pp. 1-2)

 

Los polacos reinauguran su vida nacional, contando entre sus convecinos a tres millones de judíos. Todos los polacos, judíos o gentiles, no pasan de 20 millones. Los judíos constituirán el 15 por 100 de la población polaca. Polonia será el pueblo del Mundo donde haya proporcionalmente más judíos, y si los polacos compartieran los gustos del doctor Pulido serían la nación más feliz de la Tierra.

No los comparten, por desgracia. Un israelita, Mr. Israel Cohen, que acaba de visitar Polonia, se ha encontrado allí con que si bien se ha establecido la igualdad en las leyes, el antisemitismo regula las costumbres. La culpa –dice Mr. Cohen– la tienen los políticos, y especialmente el Sr. Román Dmowski, por haber difundido la doctrina del “boycott” económico contra los judíos.

El Sr. Dmowski es hombre peligroso. Hace unos años que me recibió en su casa de Mount Street, y me contó el origen del dicho: “Sobre gustos no hay disputa”. Parece que cuando se enteró Julio César de que los judíos eran el pueblo elegido, alzó ambas manos el pontífice máximo, porque César no había llegado aún ni a un triunviro, miró a los cielos con ojos escrutadores, como si quisiera comprender a Jehová para excusarle, y dijo: “De gustibus non est disputandum”.

¿Cómo han de defenderse los judíos contra el antisemitismo de los polacos? Al asunto consagra Mr. Cohen dos largas columnas en “The Times”. No he podido entender todo lo que dice en ellas. Parece que el horror a la expresión directa, el retorcimiento barroco, la rimbombancia y el “camelo” son los estigmas que nos legaron árabes y judíos para que no pudiéramos olvidarnos de que vivieron luengos siglos en las tierras de España.

Pero lo que entiendo en el alegato de Mr. Cohen me permite decir que los judíos de Polonia quieren que se les reconozca como una minoría nacional y que se les conceda autonomía para todos los asuntos referentes a “religión, educación, lenguaje, cultura, organizaciones de caridad, higiene pública y mejoramiento económico”. Los judíos polacos desean organizarse en un sistema de Consejos comunales, bajo la dirección de un Consejo central, que estará representado en el Gobierno de Varsovia por un ministro, con derecho a intervenir en las deliberaciones del Gabinete, en todas las cuestiones que afecten a los judíos, que son, naturalmente, casi todas las cuestiones políticas.

En cierto modo es maravilla que se les haya ocurrido hacer semejante petición. La presente es la segunda edad de oro de los judíos en el Mundo. Lo mismo en Londres que en París, en Berlín que en Viena, en Varsovia que en Moscú, en Constantinopla que en Roma, en Nueva York que en Chicago, los judíos son dueños de los palacios más suntuosos y de las fortunas más cuantiosas. Y ello lo deben los judíos a que la Revolución francesa abolió las jurisdicciones especiales y los derechos feudales. La ley ha igualado a los judíos, y los judíos se han hecho los amos gracias a la igualdad legal.

“Es que somos el pueblo elegido”, contestan los judíos. Precisamente. Los judíos no serán el pueblo elegido; pero creen que lo son y obran tal cual si lo fueran. Toda su religión consiste en la creencia de que así como no hay más que un Dios, que es el de Israel, no hay tampoco más que un pueblo bajo Su especial protección: los descendientes de Abraham. Es una religión contractual, en la que Jehová garantiza a Israel la prosperidad en este mundo y en el otro, a condición de que Israel se mantenga fiel a Jehová. El judío guarda la ley, y Jehová le recompensa en oro acuñado o en pasta.

De lo que principalmente ha de ocuparse el buen judío es de no extranjerizarse. Ya la circuncisión le diferencia de los hombres de las tribus circundantes. El mayor de los peligros para todos los sacerdotes de su religión, desde el profeta Esdras hasta el último rabino, es casarse con mujer de otros pueblos. Todos los ritos sobre comidas y bebidas tienden a separarle de los demás hombres. El gran Amechel Rothschild, de Francfort, no comía jamás en mesa extraña, ni cuando le invitaba el Emperador. Y Carlos Guillermo, el último Rothschild de Francfort, se hacía traer directamente de las prensas los billetes de Banco, porque no quería tocar cosa alguna que un cristiano hubiese tocado previamente.

Del hecho de ser los escogidos deducen lógicamente los judíos que no deben tratar del mismo modo a los escogidos que a los rechazados por la Divinidad. El otro día os recordaba el pasaje del Deuteronomio en el que se dice: “Al extraño le cobrarás intereses; al hermano no se los cobrarás”.

El antisemitismo está muy mal. Aún son peores las leyes especiales para los judíos. No me parece bien que se les vuelve a obligar a tocarse con gorros puntiagudos, como en la Edad Media. Tampoco está bien el boicot, que consiste en suprimir el comercio social con los judíos. Pero en el trato común de las gentes se rehúye el comercio con personas que nos desprecian. Y el caso es que los judíos nos desprecian, y no ya por aquella flaqueza del orgullo, en que podemos incurrir todos los pecadores, sino que nos desprecian porque su propia religión les hace despreciarnos. Poneos en el caso de un judío. Suponed que se os ha enseñado desde niño a considerar a los demás hombres como seres inmundos, a los que solo podréis tratar como semejantes el día en que se circunciden y reconozcan a Jehová. No tendrías entonces mucha razón en daros por ofendidos si esos serse inmundos se negasen a ser vuestros amigos. Y esta negativa es el boicot.

«La nueva Israel» (Maeztu)

61. Ramiro de Maeztu

Ramiro de Maeztu

 

Ramiro de Maeztu: “La nueva Israel” (1917)

(La Correspondencia de España, 27/11/1917, pp. 1-2)

 

Palestina será para los judíos. Ismael volverá a existir. La Judea resucitará como nación, y sus hijos, al cabo de cerca de 2.000 años de destierro, tendrán ocasión de volver a asentarse en su suelo de origen, en condiciones de libertad, democracia y autonomía, y no de mera protección. El sueño de Sión va a convertirse en realidad.

Tal ha sido la memorable resolución del Gobierno inglés, que el 2 de noviembre fue comunicada a lord Rothschild por el ministro de Estado, en carta que así dice:

“Querido lord Rothschild: Tengo gran placer en comunicarle, en nombre del Gobierno de su Majestad, la siguiente declaración de simpatía con las aspiraciones de los judíos sionistas, que ha sido examinada y aprobada por el Gabinete: “El Gobierno de Su Majestad se muestra favorable al establecimiento en Palestina de un hogar nacional para el pueblo judío, y hará cuanto pueda para facilitar la realización de este objeto, en la clara inteligencia de que no se hará nada que pueda perjudicar los derechos civiles y religiosos de las Comunidades no judías que actualmente existen en Palestina, ni los derechos y ‘status’ políticos que disfrutan actualmente los judíos residentes en otros países”. Le agradecería que comunicase esta declaración a la Federación Sionista. Suyo sinceramente (firmado), Arturo Jaime Balfour”.

Se ha dejado pasar varios días antes de hacerse pública esta declaración. Se esperaba a que el ejército del general Allenby, secundado por la escuadra y por tropas francesas, italianas, árabes, egipcias e indias, rompiese la línea turca de Beersheba a Gaza, la antigua fortaleza filistea, e invadiese la Palestina.

Ya está rota la línea turca. Ya han sido capturadas las plazas de Beersheba y Gaza. Ya está invadida la Palestina meridional hasta Hebrón. El ejército turco se escapa a toda prisa en dirección a Siria, dejando su impedimenta y sus cañones en manos de los ingleses que le persiguen, mientras que desde el mar bombardea su derecha la escuadra anglofrancesa y desde el aire los aeroplanos ingleses no interrumpen, ni aún de noche, la persecución.

Con las tropas que avanzan van también soldados judíos. El Gabinete inglés no ha improvisado su resolución. Hace tiempo que se venía preparando el envío a Palestina de los reclutas judíos y que la opinión inglesa estaba ganada para la causa del sionismo y de la resurrección de Israel como  nación. Y la causa de los aliados es la de las nacionalidades. Si los judíos quieren ser nación aparte, que lo sean, y los judíos que no quieran volver a Palestina, ni renunciar a su nacionalidad actual, que se queden donde están o que se vayan donde quieran y conserven la nacionalidad que prefieran.

La resolución del Gobierno inglés ha producido entusiasmo entre buen número de judíos de todas las naciones, y sobre todo entre los residentes en los Estados Unidos, que son no solamente muchos en número, sino influyentes. En los Estados Unidos el movimiento sionista ha representado siempre las aspiraciones de la democracia, en oposición a las cosmopolitas del socialismo extremo y a las autocráticas de los millonarios semitas. El Congreso Judeo-americano, celebrado no hace mucho tiempo, representaba a cerca de 400.000 judíos, y jamás han celebrado los judíos una asamblea en que se representase a un número tan grande de connacionales desde los tiempos de la Dispersión. Ese Congreso se declaró sionista, pero el sionismo de los judíos de América ha progresado desde entonces, e incluye al 90 por 100 de todos ellos, con  excepción de unos cuantos socialistas y financieros ricos.

El sionismo ha progresado porque implica la mejor solución posible de un problema que se ha impuesto lo mismo a la consideración de los judíos que a la de los no judíos. Podrá decirse que el problema es tan antiguo como la Dispersión; pero en realidad es un problema moderno que ha surgido precisamente al ser abolido el sistema de las jurisdicciones especiales y sustituido por la doctrina moderna de la igualdad ante la ley. Mientras los judíos eran considerados por las leyes como una sociedad aparte, había naciones que eran más liberales y otras que eran menos en sus relaciones con los judíos, y los judíos resolvían, generalmente con la emigración a los países donde se les trataba mejor, el problema de sus quejas.

Pero al proclamarse la doctrina de la igualdad ante la ley, se ha visto que los judíos no eran iguales a los demás ciudadanos, ni tampoco a los extranjeros. Los extranjeros residentes en un país son extranjeros ante la ley y extranjeros en espíritu. si se nacionalizan, se comprometen con ello a cumplir los deberes de la ciudadanía en el país que adoptan. Y se supone que cuando se nacionalizan es porque simpatizan con el país cuya nacionalidad adoptan.

Los judíos, en cambio, son ciudadanos en cuanto a la ley, pero extranjeros –la mayoría de ellos– en cuanto al espíritu. No era justo tampoco reprocharles esta doble nacionalidad, porque la nacionalidad legal extranjera les era obligatoria, por el hecho de carecer de nacionalidad propia. Si un francés preguntaba a un judío: “¿Por qué es usted de nacionalidad francesa, cuando su espíritu no es francés?” El judío podía contestarle: “Soy francés como podría ser inglés o alemán, porque se me obliga a adoptar una nacionalidad que no sea la mía”. Y en tanto que no existiera una nación judía, las demás naciones se veían obligadas a reconocer la ciudadanía a hombres que no participaban en la comunidad de tradiciones e ideales que constituye el contenido de la nacionalidad.

Una vez que el Estado de Israel resucite, el judío residente en otros países podrá, si quiere, adoptar la nacionalidad judía, y será entonces un extranjero residente. También podrá aceptar la nacionalidad del país en que viva; pero entonces esa aceptación será puramente voluntaria.

Ingleses, franceses o alemanes tendrán derecho a considerarle como uno de los suyos y a exigirle que se le conduzca no sólo en la vida legal, sino en la social –no en la religiosa–, como si fuera uno de los suyos. Y el judío que adopte una nacionalidad que no sea la de Israel lo hará dándose plena cuenta de que ello implica el rompimiento con su propia nación, que es lo que implica para el no judío que actualmente se desnacionaliza.

El Gobierno inglés ha dado el primer paso para resolver el problema judío en todo el mundo, satisfaciendo con generosidad el ideal de los mejores israelitas. Pero no vaya a creerse que esta generosidad resulte estéril para los fines de la guerra. El movimiento sionista se originó entre los judíos de los Imperios centrales, como reacción contra el antisemitismo de los pueblos germánicos. El sionismo es originario y esencialmente austro-húngaro. Hay en Austria-Hungría cerca de dos millones de judíos, ricos algunos, revolucionarios bastantes, religiosos, trabajadores y confinados a vivir entre sí la inmensa mayoría. Esta inmensa mayoría sueña con Sión.

Y es el caso que los Imperios centrales han podido dar la Palestina a los judíos, porque ellos son el poder efectivo que gobierna en Turquía; pero no son ellos, sino Inglaterra, la que se la da.